Chapitre 9

Dans l’escalier

1933

M. Schneider et Frédéric descendaient l’escalier. Haletant, hors d’haleine, M. Resch était en train de monter en s’aidant de la rampe ; il s’arrêta pour souffler sur le palier, devant notre porte. C’est là qu’ils se rencontrèrent. M. Schneider salua et voulut continuer à descendre ; mais M. Resch ne lui rendit point son salut et lui barra le passage. Il respirait bruyamment et son visage se colorait ; enfin, il reprit son souffle :

— Je montais justement chez vous.

M. Schneider s’inclina légèrement, sortit ses clefs de sa poche et proposa au propriétaire de se rendre dans son appartement, ils y seraient mieux que dans l’escalier pour parler. D’un geste de la main il invitait M. Resch à passer le premier. Mais celui-ci, repoussant l’offre qu’on lui faisait, déclara ne plus vouloir mettre les pieds chez M. Schneider ; il était très heureux de l’avoir rencontré ici, et la question pouvait fort bien se traiter ici sur place.

M. Schneider toussota pour s’éclaircir la voix, il réitéra son léger salut et dit :

— Mais comme vous voudrez, monsieur Resch, si vous le préférez ainsi…

M. Resch prit son temps, alla jusqu’à notre porte et pressa le bouton de la sonnette. Papa ouvrit, j’étais derrière lui risquant un œil sur le palier. M. Resch invita Papa à écouter ce qu’il avait à dire ; il lui demandait de lui servir de témoin.

Papa resta muet sur le seuil ; ses regards surpris allaient de M. Resch à M. Schneider qui le regarda en haussant les épaules. Frédéric, un peu anxieux, s’agrippait à la rampe.

M. Resch gonfla la poitrine, toussota, regonfla sa poitrine et parut exploser :

— Je vous signifie votre congé pour le 1^er du mois prochain.

Le silence tomba. On n’entendait plus que la respiration courte et agitée de M. Resch dont les yeux étaient fixés au sol ; le regard de Papa et celui de M. Schneider se rencontrèrent. Frédéric contemplait le bouton de la minuterie ; quant à moi, je n’y comprenais rien…

— Pardon ? reprit enfin M. Schneider.

— Vous partez d’ici le 1^er !

— Vous ne parlez pas sérieusement, monsieur Resch ? dit M. Schneider en souriant.

Enfin Papa s’en mêla aussi :

— Cela ne peut pas se faire, monsieur Resch, M. Schneider jouit des droits habituels des locataires.

Le gros propriétaire lui lança un regard torve et répliqua aussitôt :

— Je ne vous ai pas appelé pour prendre le parti de ce monsieur ; vous aviez à remplir le rôle d’un témoin, rien de plus.

Papa repartit :

— Vous ne m’empêcherez pas de parler, monsieur Resch, et vous devrez renoncer à me voir assumer le rôle de témoin.

Sur ces mots il me repoussa à l’intérieur et claqua la porte. Mais nous restâmes derrière la porte, prêtant l’oreille à la suite de la discussion.

M. Schneider, toujours maître de soi, voulut encore parler :

— Vous ne pouvez vraiment pas, monsieur Resch, me donner congé de manière aussi imprévue.

— Mais certainement, je le peux, repartit M. Resch avec une petite toux.

— Et puis-je savoir pour quelle raison vous me donnez congé ?

— Parce que vous êtes Juif, cria-t-il si fort que toute la maison en fut ébranlée.

Là-dessus il se retourna et nous l’entendîmes descendre l’escalier bruyamment.